• Appelez-moi Scarlett !

     

    Je t'avais promis de te raconter la journée du divorce, et je le ferai – cochonne qui s'en dédit – mais dans le prochain article seulement, et tu verras qu'il y a eu des moments bien cocasses.


    Je préfère publier aujourd'hui ce morceau d'introspection, car à la demande de Lise qui s'étonnait dans un commentaire de cette relation que j'ai entretenue avec le Chauve Bedonnant, je me suis surprise à dérouler les raisons de notre mariage et de notre rupture de manière peut-être un peu plus honnête que d'habitude et cette analyse me paraît venir à point nommé pour conclure cette période de ma vie.
    Nous revoilà donc revenus à un long article sans trop d'autre intérêt que de me faire du bien ! Je t'autorise à le sauter et à revenir demain quand ce sera plus drôle. Si tu me suis dans ces méandres de mon inconscient sans chercher un pont pour sauter, merci d'avance !


    J'ai rencontré le Chauve Bedonnant ( que j'appellerai CB pour me simplifier la vie, bien que – crois-moi  - l'une des raisons pour lesquelles je ne l'ai pas épousé, c'était bien pour son argent !) en 1999. Nous habitions le même village : il était veuf depuis un an et j'étais divorcé depuis 3 ans.
     

    J'avais 37 ans, et je n'envisageais pas ma vie sans un homme à mes côtés, pour des raisons d'ordre affectif et sexuel bien sûr, mais surtout d'ordre social : à cette époque, pour moi, être sans homme à mes côtés, c'était un peu être une sous-femme, une femme anormale, moche, rejetée, acariâtre, enfin bref, une femme non désirable au sens large du terme. Or, ayant appris depuis des années à compenser mes immenses fragilités par l'apparence d'un égo sur-dimensionné, cette image de moi ne pouvait pas me convenir.


    Nombreuses ont été mes rencontres avant CB et depuis mon premier divorce, car mes recherches étaient plus qu'actives. Mais ma fébrilité ne m'avait cependant pas poussé à des folies, et je me contentais d'amants les week ends où mes enfants étaient chez leur père, sans franchir le pas d'une relation plus stable. Car justement, mes enfants étaient là, et autant qu'un compagnon, je recherchais un substitut de père pour eux. Donc un mec bien !


    Je ne suis pas une mauvaise mère, mais je suis une mère sans patience. Mes enfants, petits, me fatiguaient souvent par leurs demandes pas forcément exprimées d'activités : je déteste les activités enfantines (oui, je sais, je suis instit, mais je ne le suis devenue que pour avoir les mêmes horaires qu'eux, car au moment de mon divorce avec leur père je travaillais encore dans la pub à Marseille et à Aix), je me forçais à leur faire faire tout ce qui était bien pour eux, mais sans enthousiasme ou avec un enthousiasme feint.

    Dans le village où j'habitais, j'avais une connaissance dont la fille avait l'âge de Viviane, qui ne travaillait pas et qui s'occupait beaucoup de mes enfants quand j'étais retardée au travail ou à l'IUFM, ou quand j'avais rendez-vous chez le toubib etc. Elle s'occupait aussi beaucoup de la fille du CB (qui était également dans la classe de Viviane) depuis la mort de sa mère. Le CB et moi avons fini par nous rencontrer officiellement par son biais, car nous nous étions déjà croisés, inévitablement. Anniversaire chez lui, puis chez moi (où il a géré du début à la fin la troupe d'invitées de ma fille au bord de la piscine, pique-nique au bord de la Durance, où il a sauvé mon boxer de l'époque de la noyade – il a le diplôme de Maître-Nageur en plus de celui de psycho-motricien, bien qu'il n'ait jamais exercé cette profession et heureusement pour ses potentiels patients, car plus pataud que lui, ça n'existe pas ! - cross des Écoles ... ) et puis un week end, je trouve dans ma boîte aux lettres une lettre que l'on peut appeler une lettre d'amour, quasiment illisible (je rappelle que les psychomotriciens ont entre autres pour rôle d'améliorer le geste graphique !) claffies de fautes d'orthographe, mais sincère, m'invitant, si je le souhaitais, à aller plus loin avec lui.


    J'étais folle de joie. Je me souviens m'être adressée aux enfants en leur disant « notre vie va changer! » (pas MA vie mais NOTRE vie ….) Ensuite j'ai pris des photos où il était et j'ai essayé de ressentir quelque chose …. Ma première réflexion a été de me dire que je ne le trouvais vraiment pas beau. Le bide en avant, la tonsure entourée de cheveux longs et bouclée, le poil clair, le jean mal coupé, le slip de bain rentré dans la raie des fesses, il ressemblait plus à Bozo le Clown ou à Pierre Richard qu'à Georges Clooney ! Qu'à cela ne tienne, me dis-je alors dans un enthousiasme inébranlable : je le relookerai ! Ce que j'ai fait, d'où le passage du Bouclé Bedonnant au Chauve Bedonnant …. La bedaine est restée et certains vêtements étranges mais pas tous (j'en ai encore eu la preuve hier) aussi! Je voulais passer la main. Je me suis trouvée toute une série d'arguments en sa faveur :

    • il est gentil

    • il n'est pas bête

    • il adore les enfants

    • il est améliorable physiquement

    • il se pliera à mes quatre volontés

    • il est bricoleur

    • il est cultivé

    • il aime bien mon chien qu'il a sauvé de la noyade

    • son voisin a un cheval qu'il veut bien me prêter

    • c'est un bon père de famille, raisonnable et prévoyant

    • il fait le ménage et la cuisine

    • il fait faire de la planche à voile, de la descente en eau vive, de l'escalade, du vélo etc etc. aux enfants


    Et j'ai fait taire la petite voix qui tout cet été-là (nous nous sommes rencontrés en juin) m'a répété :

    • Mais il ne te plaît pas !

    • Comment vas-tu t'en sortir avec deux enfants orphelines ?

    • Il ronfle comme un cochon !

    • Ce n'est pas un grand créatif au pieu !

    • Il aime camper …...

    • Il fait des blagues à 100 balles qui ne font rire que lui, même pas les enfants.

    • C'est un hyper actif des activités outdoor !

    • J'ai honte de le présenter à mes amis qui ne vont pas comprendre ce que je fais avec lui.

      En résumé : tu vas t'ennuyer avec lui !

    Et je me suis répondu que j'en avais trop marre d'assumer seule, de chercher et de de tomber sur des loosers, au moins lui était sain, que toutes ses qualités me permettraient de finir par l'aimer. Un jour.


    Ce jour n'est jamais venu. Alors qu'il semblait se consumer de passion pour moi, j'essayais désespérément de transformer la tendresse qu'il m'inspirait en un sentiment plus fort. J'ai vraiment essayé. Régulièrement, je m'astreignais à voir le bon côté de cet homme gentil et dévoué, de manière très systématique, comme on se récite un mantra, mais ça n'a pas marché.


    Nous nous sommes malgré tout mariés, au bout de deux ans, car j'étais toujours dans ma logique de « normalité », et de plus j'avais la sensation que le quitter ou lui refuser le mariage le blesserait trop, lui, le veuf, l'écorché de la vie. Nous habitions ensemble depuis le début, d'abord dans ma maison, puis dans la sienne dont j'ai racheté les parts en vendant la mienne et que nous avons agrandie ensemble. Il faut savoir que cette maison était celle où il avait vécu longtemps avec sa première femme et qu'elle y était morte. Des objets, des photos, des livres à elles demeuraient dans toutes les pièces, sauf dans celles de l'agrandissement que j'avais voulues neutres de sa présence. J'ai dû faire mon trou dans cette maison, pour y imposer ma présence, ma marque, de manière certainement plus ferme, voire agressive, que dans une maison sans fantôme …..


    Les chiens, les chevaux, les chats sont arrivés, comme autant de tentatives de fabriquer un ciment qui se délitait à chaque crise.
    Car des crises, il y en a eu. Tout le temps.

    Bien sûr, le rejet total que sa fille cadette a exprimé à mon égard a été le déclencheur de chacune d'elles. La gamine fantasmait ma mort et est passé à l'acte une fois, en ratant son coup. Mais je n'ai jamais pu lui pardonner. L'ambiance était pesante. Mais sincèrement, si j'avais été raide dingue de son père, je suis sûre que j'aurais réussi à faire preuve de plus de tolérance envers elle.

    Mais je n'étais pas raide dingue de son père.
    Au fil du temps, le mépris s'est invité dans notre relation. Soyons franche : je pense que le mépris que je ressentais était avant tout dirigé vers moi. Comment pouvais-je me supporter dans une relation si insatisfaisante ? Mais insidieusement, parce que c'est plus confortable, j'ai braqué mon ressentiment sur lui et lui, bien que moins violemment, le sien sur moi. Le soir, quand je le regardais se déshabiller, j'étais prise de nausées à l'idée de reposer ou plus si affinités (ses affinités) à ses côtés. Les mantras se sont transformés en lamentations : je ne l'aime pas, comment puis-je rester ainsi avec lui, je perds mon temps. Je suis sûre que de son côté, la passion était sérieusement émoussée aussi.


    On a tenu à cause des animaux, quand d'autres tiennent à cause des enfants !


    En Janvier 2007, le conflit latent avec nos fous de voisins s'est exacerbé : menaces de mort, agressions verbales et physiques. Je passe les détails que certains d'entre vous connaissent, car ce n'est pas ici le propos. Nous n'étions, ni nous, ni surtout nos bêtes, plus en sécurité. Il fallait partir.


    Quitter sa maison, quasiment construite et rénovée de ses mains, la maison où sa première femme est morte, était du domaine de l'insupportable pour le CB. Nous en avons longuement parlé. Pour moi, c'était enfin clair : ou l'on part ensemble et on profite de ce changement pour tenter de faire renaître quelque chose dans notre couple, soit je pars seule, avec mes enfants, une partie des animaux. Mais je ne pouvais plus rester dans ce lieu où la mort passée et la mort présente rodaient.

    Il a décidé de partir avec moi.


    J'ai cherché et trouvé le mas. Je le lui ai fait aimer et nous l'avons acheté le 15 juin 2007, exactement 8 ans après notre première rencontre. Le 15 Août nous déménageons. Je me souviens de ce soir de fin d'été, où, assise sur le muret de la terrasse de la clède, contemplant les montagnes au loin, apaisée, confiante, réconciliée, pleine d'espoir, je me suis rapprochée de lui.
    Il m'a dit :
    - Elle est heureuse ma femme ?


    Et je lui ai répondu :
     - Je ne me souviens plus de la dernière fois où je me suis sentie aussi bien.


    Et j'y croyais enfin. Mon bien-être allait me permettre d'être suffisamment détendue pour réussir à tirer le meilleur parti de ce couple moribond qui tel Lazare renaissait à la vie ….

     

    Cette nuit-là, nous nous sommes endormis au bruit cristallin de la cascade qui coule en bas, à l'aplomb de la fenêtre de notre chambre.


    Le mas n'était pas encore habitable, loin s'en faut : simples dalles au sol, pas de peinture sur les murs, pas d'évacuation des eaux usées, pas de chauffage, pas de grillage étanche pour contenir les chiens, aucun aménagement de cuisine, l'électricité pas aux normes, mais avec l'énergie que j'avais, on réussirait à mettre tout ça en place pour l'hiver. Ensemble.


    Le 8 septembre, il est revenu de Marseille où il avait encore des activités professionnelles et m'a annoncé qu'il me quittait pour une collègue de bureau.


    Appelons un chat un chat : mon amour-propre a souffert autant que mon amour tout court. Il est parti, me laissant avec mes enfants, tous les animaux (il y avait 4 chevaux à l'époque), dans une région où je ne connaissais personne, dans un mas isolé en haut d'une montagne. Il a demandé le divorce dans les quinze jours et nous avons été convoqués par la juge quasiment immédiatement. J'ai refusé le divorce : il voulait que je vende le mas et que je me débrouille avec ma part pour me réinstaller. Avec ma clique, ce n'était même pas envisageable. Au fil des mois, on a fini par trouvé un arrangement financier qui me permettait de racheter ses parts à crédit. Le décès de mon père m'a permis de le faire au comptant.


    Je lui en veux de m'avoir abandonnée au moment où il me semblait enfin qu'un avenir commun était possible (et si ça, ça ne te rappelle pas Scarlett et Rhett dans Autant en Emporte le Vent ! Sauf qu'il n'a jamais ressemblé à Clark Gable et moi si peu à Vivien Leigh !). Je lui en veux de m'avoir déracinée. Je lui en veux de m'avoir fait sombrer dans la dépression. Je lui en veux du mal qu'il a fait AUSSI aux enfants. Je lui en veux de m'avoir trompée. Je lui en veux de m'avoir emprisonnée avec tous ces animaux qui m'empêchent de partir à mon gré.


    Je ne lui en veux pas d'être parti, je lui en veux de ne pas être parti proprement.


    Mais grâce à ce départ de malpropre, je me suis aussi révélée à moi même : malgré tous les inconvénients que comporte ma vie ici, je suis fière d'avoir accompli seule, avec l'aide de mes enfants, sans homme au quotidien, ce que nous avons accompli ici.


    La fierté, de soi et des siens, vaut tous les sentiments.


    Alors depuis hier, quand je l'ai vu, toujours aussi chauve, toujours aussi bedonnant, toujours aussi mal fringué, toujours aussi coincé, eh bien je ne lui en veux plus tant que ça. Car hier, lui n'était pas fier, il semblait même triste.


    Et si je suis libérée aujourd'hui, ce n'est pas tant de lui, mais de l'Homme en général. Et ça, en somme, c'est grâce à lui … Je vais peut-être enfin pouvoir faire quelque chose de ma vie.


    Hier le Chauve Bedonnant et moi avons dansé notre dernière danse. Nous ne nous reverrons plus.



                                                                                                                                                  See you later alligator

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